canfor-14.jpgPour comprendre les origines de la Première Guerre mondiale – lire « 1914 » de Luciano Canfora

 

Compte-rendu AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 

Le petit livre de l'historien, spécialiste de l'Antiquité, Luciano Canfora, est sans doute le premier ouvrage à lire en ce centenaire du début de la Grande guerre. L'un des rares, si ce n'est le seul, qui éclaire la question des origines, des causes, des responsabilités du conflit.

 

Jamais autant de livres n'ont été publiés sur la guerre de 1914-1918, emplissant les étals avec des réflexions sur l' « expérience de guerre », la « vie dans les tranchées », le rapport à la mort, au corps, à la violence.

 

Une conception anthropologiquede la guerre, quasi éternelle, rapportant à l' « humain » générique, détachée de toute historicisationdu conflit : d'où vient-il ? quelles furent ses conséquences ? Au-delà des expériences uniformes, quelle dimension de classe de la guerre ?

 

C'est le mérite du livre de Luciano Canfora – dont on sait la capacité à détruire certains mythes persistants, notamment sur la démocratie (voir son magistral « La démocratie, histoire d'une idéologie » –, celui de combattre certaines idées reçues, incontestées par la littérature récente, d'historiciser de nouveau le conflit.

 

Dans ces notes issues d'une vingtaine de conférences prononcées sur la RAI, la radio italienne, Canfora nous invite à repenser le conflit sous un autre angle que celui de l'idéologie dominante.

 

La guerre était-elle inévitable ? (1) Rivalités entre impérialismes, tensions et contradictions irréconciliables

 

La première idée reçue démontée par Luciano Canfora est celle qui réduit la Grande guerre à l'horizon 1914-1918 – c'est le cas de la plupart des livres « commémoratifs » sortis en 2014.

 

D'une part, il questionne, adopte tout en la critiquant l'approche d'Ernst Nolte, cet historien allemand controversé qui considère la Première et la Seconde guerre mondiale dans un même continuum de 1917 à 1945, faisant de la révolution russe née du premier conflit mondial le déclencheur d'une réaction fasciste puis nazie, qui plongera l'Europe dans un second conflit.

 

Canfora rappelle que Thucydide refusait de considérer la guerre du Péloponnèse comme deux conflits séparés mais les englobait dans une même guerre entre 431 et 404, considérant les moments de paix comme de simples trêves entre bélligérants.

 

Canfora épouse cette thèse mais pour lui, Nolte oublie que le point de départ n'est pas 1917 mais 1914 avec la rupture de l'équilibre européen, la brutalisation des sociétés, la guerre totale auxquelles la révolution russe fut une réaction, de la part de la seule force politique qui s'est opposée au conflit.

 

D'autre part, Canfora rappelle les origines lointaines du conflit de 1914. Adoptant l'approche léniniste de la lutte entre impérialismes, il rappelle la lutte entre ces impérialismes pour le partage du monde, afin de conquérir marchés, sources de matières premières, main d’œuvre peu onéreuse.

 

Sur la question de la responsabilité allemande, le traitement de Canfora est circonspect. Il balaye d'abord l'alibi commode de la seule culpabilité allemande soulignant combien la poursuite d'une politique impériale, d'intérêts égoïstes est le propre de toutes les puissances.

 

C'est pour ensuite – rejoignant les thèses exposées il y a un demi-siècle par l'historien allemand Franz Fischer – aussi réfuter la défense de l'establishment allemand après la guerre :

 

celle d'une absence de responsabilité allemande, d'une ligne « modérée » (celle de Bethamnn-Hollweg, chancelier en 1914) battue par une ligne « belliciste » devenue dominante par faute de la politique suivie par les autres puissances européennes.

 

Or, Canfora comme Fischer s'accordent pour remarquer que les buts de guerre (Kriegsiele) de la classe dirigeante était convergents, « modérés » comme « bellicistes » : s'emparer des districts miniers de Belgique et de Pologne, s'étendre vers l'Est jusqu'aux marges de la Russie.

 

Adjointe à cette ligne européenne visant à assurer les matières premières pour l'industrie allemande, une politique mondiale (Weltpolitik) lorgnant vers l'Afrique équatoriale et le Moyen-orient, dont la construction de la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad est l'illustration la plus nette, rentrant en conflit avec les intérêts britanniques en Perse.

 

Ces objectifs rentraient naturellement en contradiction avec ceux de la France. Un conflit évidemment alimenté par l'esprit de revanche, né de la perte de l'Alsace-Lorraine en 1870, ancré dans les guerres franco-allemandes depuis l'invasion napoléonienne.

 

Mais aussi un conflit de plus en plus vif autour des empires coloniaux naissants en Afrique. Les conquêtes allemandes en Afrique équatoriale et occidentale menacent les possessions belges, françaises et anglaises. Les conflits entre trusts allemands et français au Maroc déchirent le pays.

 

Les crises marocaines de 1905 puis 1911 plongent l'Europe au bord du précipice. Finalement, l'Allemagne cède sur l'influence française au Maroc en échange de la garantie de ses possessions en Afrique équatoriale.

 

Toutefois, l'antagonisme franco-allemand est désormais structuré de façon définitive. Le premier enjeu pour la France est bien la préservation et l'extension de son empire colonial.

 

La Grande-Bretagne, elle aussi, voit sa rivalité durable avec la France se transformer en peur de l'expansion allemande.

 

A la prédilection pour la neutralité dans les conflits européens, la Grande-Bretagne change de position pour trois raisons : les craintes de toute hégémonie en Europe, celle d'une puissance rivale économiquement, enfin de l'affirmation d'une puissance coloniale mondiale.

 

Ces trois facteurs – longtemps associés à la France révolutionnaire/napoléonienne – sont désormais rapprochés de l'Allemagne wilhelmienne qui vient contester l'hégémonie mondiale de l'Empire britannique.

 

Ces éléments encouragent la classe dirigeante britannique à cette « Entente cordiale » étonnante pour les observateurs de l'époque avec la France en 1904, entre deux puissances au bord de la guerre au Soudan et en Birmanie, quelques années plus tôt.

 

Enfin la Russie, elle aussi menacée par le Drang nach osten (la marche vers l'est) de l'Allemagne mais surtout soucieuse de se tailler sa propre zone d'influence en Europe du sud-est, dans les Balkans en usant du pan-slavisme, près de la Turquie pour le contrôle des détroits et des mers chaudes.

 

De ce fait, elle entre en conflit avec deux colosses fatigués : l'Autriche-Hongrie et l'Empire ottoman.

 

Voilà ce qui explique les guerres balkaniques de 1912-1913, répétition générale de la Première guerre mondiale. Prétextant du pan-slavisme, la Russie soutient Serbie, Bulgarie, Monténégro et Grèce dans la Ligue balkanique contre l'Empire ottoman, chassant les Turcs hors d'Europe.

 

Mais les rivalités entre puissances slaves vont conduire à une nouvelle guerre entre Serbes (coalisés avec les autres pays de la Ligue) et Bulgares, conduisant à la victoire des premiers. L'issue de ces conflits meurtriers : c'est le renforcement de l'influence russe dans les Balkans, la menace qu'elle fait peser sur l'Autriche-Hongrie qui contrôle la Bosnie, l'humiliation turque et bulgare.

 

Si l'Allemagne de Bismarck cherchait une « Sainte alliance » prusso-austrio-russe, il ne subsiste en 1914 qu'un bloc central austrio-prussien, bénéficiant des sympathies ottomanes et bulgares – par la suite des guerres balkaniques –, avec une hostilité violente entre Serbie et Autriche.

 

De ce système d'alliances déjà structuré, de ces tensions exacerbées en Europe et ailleurs, à ce choc des impérialismes, il ne manque qu'un détonateur.

 

Une chose est sûre, si l'expansionnisme allemand semble être à l'origine des tensions au début du XX ème siècle … c'est aussi parce que l'impérialisme pan-germanique est le dernier servi, il veut sa « place au soleil » face aux empires français, britannique et russe déjà constitués.

 

La guerre était-elle inévitable ? (2) Réaction en chaîne du système d'alliances et contingences historiques

 

En 1914, deux blocs d'alliances se font donc face : la Triple-Alliance entre Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie face à la Triple-Entente, Russie, Grande-Bretagne et France. Deux alliances aux mécanismes de solidarité complexes en cas de guerre défensive, mais contraignants.

 

Canfora tente d'éviter toute conception fataliste de l'histoire, faisant référence tantôt à la nouvelle des « Jardins des sentiers qui bifurquent » de Jorge Luis Borges, ou à l'Hercule de l'Apologue de Xénophon : chaque moment historique recèle une multitude de chemins, de possibilités.

 

Certes, la nature contraignante du système d'alliances ainsi que les tensions inter-impérialistes accumulées, donnent à l'enchaînement qui mène à la guerre une dimension inéluctable :

 

l'assassinat du prince héritier autrichien à Sarajevo, l'ultimatum puis la déclaration de guerre autrichienne à la Serbie, la mobilisation générale russe, la déclaration de guerre allemande à la Russie puis à la France, l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne après l'invasion de la Belgique : tout semble écrit, inéluctable.

 

Or, Luciano Canfora montre bien que derrière cette apparente logique implacable, il y a des contradictions internes, des décalages dans les consciences des acteurs, souvent bien différentes des idées reçues.

 

En effet, dans le camp austro-hongrois, perçu comme globalement pousse-à-la-guerre derrière le Ministre des Affaires étrangères, le comte Berchtold, d'autres voix comme le vénérable comte Tisza tentent de modérer l'Empereur, soulignant l'injustice d'une invasion de la Serbie sur un prétexte douteux, le danger pour l'Autriche d'une guerre dans une situation défavorable.

 

Dans le camp allemand, Canfora dénonce bien la vacuité des thèses sur les deux fractions dans la classe dirigeante allemande, révélant que la « colombe » Bethmann-Hollweg a conçu l'invasion de la Belgique, la blitzkrieg contre la France pour ensuite s'attaquer à la Russie.

 

Mais c'est aussi pour révéler combien les documents d'archive soulignent la conviction du Kaiser Guillaume II – décrié dans l'historiographique comme moitié dément, aventureux – que la guerre pouvait être évitée par un traitement négocié entre l'Autriche et la Serbie.

 

Ces oscillations, hésitations, déchirements semblent indiquer des contradictions internes au bloc central, ainsi que des responsabilités plus partagées que ce qu'on l'admet communément. Des atermoiements bouleversés par le flot des événements, préparés sur le long-terme.

 

La guerre était-elle inévitable ? (3) La faillite du mouvement socialiste européen

 

Selon l'auteur, le dernier rempart face au « massacre inutile » de 1914-1918 (pour reprendre les termes du pape Benoît XV) était non pas la conscience ou la prudence des dirigeants européens liés aux Anciens régimes du XIX ème siècle, mais l'engagement des classes ouvrières européennes.

 

Une classe ouvrière représentée par les partis socialistes qui s'étaient promis, en cas de conflit, de croiser les bras, de déclencher la grève générale pour empêcher une guerre fratricide, de privilégier la solidarité de classe internationale à la collaboration inter-classiste nationaliste.

 

Citant Fernand Braudel, Canfora rappelle que la vision que nous avions en 1914 était celle d'un continent moins « au bord de la guerre, qu'au bord du socialisme ». Et ce fut justement la guerre qui empêcha une transformation profonde, socialiste des sociétés européennes.

 

Une analyse peut-être un peu optimiste mais 1914 était bien l'heure de vérité, de ces moments où les partis ont à faire des choix décisifs. Les socialistes ont fait le mauvais choix, celui de l' « Union sacrée », du carnage massif au profit de quelques possédants.

 

Le 4 août 1914 marque la trahison de la social-démocratie allemande – modèle pour tout le socialisme européen, en réalité déjà intégrée au système politique bourgeois national – qui vote les crédits de guerre, bientôt suivie par les socialistes français.

 

Dans cette tempête qui ébranlera les convictions des pacifistes idéalistes comme Jaurès assassiné le 31 juillet 1914, conduira au ralliement guerrier la majorité des socialistes européens, les exceptions se font rares.

 

Quelques personnalités comme Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg en Allemagne, le courant bolchevique en bloc en Russie mené par Lénine bien sûr. Canfora y rajoute le mouvement socialiste italien en 1914, dont la position est facilitée par la neutralité italienne jusqu'en 1915.

 

Le revirement d'un Mussolini, farouche pacifiste en 1914 puis violent interventionniste en 1915 – acheté peut-être par les services secrets français ou britanniques, assurément par les cercles militaires et économiques – est un cas extrême de l'opportunisme des cadres socialistes italiens.

 

Déjouer la propagande de guerre (1) Sarajevo : un prétexte pour la guerre

 

Dans des analyses toujours actuelles, Canfora s'attacher à démonter les principes de la propagande de guerre.

 

Le premier est celui du prétexte pour l'entrée en guerre. Nul ne prétend que l'assassinat de Sarajevo est la cause de la Première guerre mondiale, au mieux un déclencheur, en réalitéun prétexte pour un conflit voulu et attendu dans les sphères dirigeantes allemandes ou autrichiennes.

 

Canfora reconstitue avec précision les faits du 28 juin 1914, il souligne les négligences coupables tant de la part du gouverneur que du chef de la sécurité

 

Le prince héritier, victime d'une première tentative d'attentat dans la journée, réclame une déviation de son parcours initial, le cortège suit une voie alternative avant de replonger dans une avenue François-Joseph centrale sans protection. En pleine manœuvre pour faire demi-tour, le prince est touché mortellement par un nationaliste serbe, Gabriel (« celui qui annonce »!) Prinzip.

 

Le casus belli idéal contre la Serbie est tout trouvé. Une commission d'enquête (cela nous rappelle des faits plus récents …) est lancée, bâclée, bidonnée, cherchant à forcer la culpabilité du gouvernement serbe dans l'armement et l'aide au « terroriste » Prinzip.

 

Les preuves sont tout sauf évidentes, elles sont suffisantes pour l'envoi d'un ultimatum au gouvernement serbe en 9 points violant ouvertement la souveraineté serbe :

 

pourtant 8 des 9 points (sauf la participation de l'Autriche à une enquête en Serbie, prévoyant la poursuite et l'arrestation de dignitaires serbes!) sont acceptés, une « capitulation » qui ne suffit pas à l'Autriche qui entre en guerre le 28 juillet, un mois après l'attentat.

 

L'enlèvement d'Hélène, la protection des Gaulois contre les Helvètes, la défenestration de Prague, l'attaque contre le Lusitania, Pearl Harbour, l'attaque contre le navire du Golfe du Tonkin, l'invasion du Koweit : les prétextes des conflits cachent derrière de nobles principes, l'argument d'une guerre défensive, des intérêts égoistes, des desseins impériaux, la guerre de 1914 n'y échappe pas.

 

Déjouer la propagande de guerre (2) Démocratie contre autoritarismes : qui sont vraiment les peuples civilisés ?

 

Au cœur de l'argumentaire de toutes les puissances en conflit en 1914, deux idées : (1) celle d'une guerre défensive contre des puissances agressives ; (2) celle d'une guerre de la « civilisation », de la « liberté », de la « démocratie » contre des « dictatures », des peuples « barbares ».

 

Sur l'idée de guerre défensive ou de frappe préventive (encore des termes à résonance actuelle), chaque camp construit sa légitimation : l'Autriche répond à l'attentat serbe, la Russie défend le peuple serbe agressé, l'Allemagne se défend de la menace russe, la Grande-Bretagne protège la Belgique neutre, la France riposte à la guerre lancée par l'Allemagne.

 

Sur l'idée d'un conflit de civilisation, là encore l'argumentaire suit une propagande rodée.

 

Côté allemand, on se présente comme le sommet de la culture humaniste et scientifique (Kultur) opposée à la culture mercantile, décadente anglo-française (Zivilisation), ainsi qu'à ce pays de « moujiks », de barbares qu'est la Russie.

 

Ce dernier argument sera le mot de d'ordre de ralliement des socialistes allemands, prêts à rejouer la partie « des sans-culottes français en 1793 » pour reprendre les termes d'Engels à la fin du XIX ème siècle, révélant le niveau de russophobie dominant dans la culture progressiste allemande.

 

Un Engels qui a nourri bien des illusions également sur la possibilité d'arriver au socialisme par la voie électorale ou celle de conquérir l'armée par la présence croissante d'électeurs socialistes. Karl Liebknecht a bien montré comment l'armée allemande, au contraire, construisait des sujets obéissants au Reich, conformistes, prêts à se fondre dans le moule militariste et nationalistes.

 

Citant Tacite, Canfora rappelle que la seule frontière séparant historiquement Germains et Sarmates était le « mutus metus », la peur réciproque.

 

Côté français mais aussi anglais et italien, on connaît mieux l'idée d'une lutte entre « démocraties » occidentales et « autoritarismes » centraux.

 

Or, l'argument ne résiste pas, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que le pilier de la Triple-Entente reste la Russie, phare de la réaction obscurantiste européenne, qui avait réprimé dans le sang la révolution de 1905. Tout sauf une démocratie en 1914.

 

Ensuite, parce que l'Allemagne wilhelmienne est un régime complexe. Un des premiers pays à avoir instauré le suffrage universel, accueillant le mouvement ouvrier le plus puissant d'Europe, hôte d'une culture littéraire, philosophique, scientifique sans égal en Europe.

 

Face à elle, l'Italie et la Grande-Bretagne n'ont pas encore levé tous les freins au suffrage universel, peinant à dépasser l'obstacle du vote censitaire, gangrenés par diverses formes de clientélisme, de corruptions, des « rotten bouroughs » anglais au système semi-mafieux du Sud italien.

 

Par ailleurs, comme le rappelle L.Canfora, tous les régimes ont vu pendant la guerre une inflexion vers des formes autoritaires de gouvernement : censure, abolition de facto du parlement, absence d'élections, répression brutale, allant jusqu'à la dictature militaire en Allemagne.

 

Déjouer la propagande de guerre (3) 1914 et le bourrage de crâne, la construction de la haine de l'ennemi

 

Enfin, une fois le conflit déclenché, il s'agissait pour les classes dirigeantes européennes de fabriquer le consentement à la guerre, avant tout donc de forger une image diabolisée de l'ennemi, de légitimer une guerre injuste de rapine comme étant une guerre juste de salut public.

 

Les vieilles oppositions, les antiques préjugés sont remobilisés : celle des Latins contre les Germains pour les Italiens, des Germains contre les Huns côté allemand … les exemples se déclinent selon les puissances en question.

 

La campagne de Belgique, à l'automne 1914, devient enjeu d'une intense guerre de désinformation, visant à accuser l'ennemi d'actes barbares, donnant un prétexte à l'intervention.

 

L'Allemagne se voit en effet opposé une résistance opiniâtre du peuple belge, inattendue, et qui durera près de trois mois. Face à cette guérilla, l'Allemagne ne lésine pas sur les moyens : bombardements, déportation de civils, villages brûlés.

 

La presse française et britannique multiplie les compte-rendus sur le peuple belge « martyr », sur la violation inacceptable de la neutralité belge, l'incendie de sommets de la civilisation comme la Bibliothèque de Louvain.

 

Aucun procédé n'est exclu dans cette guerre de propagande : l'impression de journaux de complaisance (comme la « Gazette des Ardennes » financée par l'Allemagne, « Die feldpost » par la France), la diffusion de faux comme ceux de Hansi payé par la France et qui dénonce l'impérialisme allemand en divulgant des documents secrets allemands falsifiés.

 

L'Allemagne va répondre par célèbre Appel au monde civilisé (Aufruf an die Kulturwelt) d'octobre 1914, 93 des plus grands intellectuels allemands (dont un certain nombre de Nobel) répondent aux accusations lancées contre l'Allemagne sur le ton : « Ceci n'est pas vrai ».

 

Les intellectuels allemands dénoncent l'hypocrisie des puissances occidentales, fustigeant l'impérialisme allemand tout en pratiquant une politique expansionniste, usant de la neutralité de la Belgique comme d'un cache-sexe pour leurs objectifs militaristes.

 

Un texte emprunt toutefois d'un nationalisme violemment belliciste, unanimiste et raciste quand il dénonce les « Mongols et aux Nègres lâchés par les soi-disant puissances civilisées contre le peuple allemand ».

 

Conclusion

 

Canfora ouvre sur la période suivante, rappelant le parcours des « dictateurs militaires » Ludendorff et Hindenbourg, le premier appuyant le putsch militaire d'Hitler en 1923, le second livrant le poste de chancelier au même Hitler en 1933. De quoi tisser des liens de plus en plus occultés – jusque dans les manuels scolaires – entre 1914 et 1939.

 

On peut reprocher à Canfora de ne pas approfondir jusqu'au bout certaines explications, certains raisonnements, de nous laisser sur notre faim. Toutefois, le rappel de ces faits, de leur enchaînement, couplé à une érudition et une clarté sans failles sont salutaires à l'heure actuelle.

 

Ce compte-rendu parcellaire ne peut qu'encourager tous ceux désireux d'en apprendre plus, au-delà du discours officiel, sur le conflit de 1914 à lire cet ouvrage de Luciano Canfora.

 

 

 

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